Par Me Jean Baril, LL.D.
Chargé de cours la faculté de droit de l’Université Laval, chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement et administrateur du Centre québécois du droit de l’environnement.


Le rapport annuel de gestion 2013-2014 du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques (MDDELCC) fait état de son traitement des demandes d’accès à l’information[1]. On y apprend que, pour cette période, le ministère a reçu près de 12 000 demandes d’accès en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (ci-après « Loi sur l’accès »). Les groupes environnementaux représentent seulement 1,3% des demandeurs et les journalistes 1%. Il semble que leur expérience fait en sorte qu’ils ne font plus confiance à ces mécanismes pour obtenir l’information recherchée… Contrairement à certaines idées reçues, les citoyens représentent seulement 7,1% des demandeurs et ce sont les entreprises qui arrivent en premier lieu avec 77,3% des demandes! De ces 12 000 demandes, seulement 26% ont donné lieu à un accès total aux documents demandés, 18,7% des cas ont donné lieu à une divulgation partielle (documents avec des parties masquées) et dans 49,2% des cas, la conclusion a été que le MDDELCC ne possédait pas les documents demandés! C’est dire que près de 6 000 demandes d’accès ont été traitées par les différents responsables de l’accès à l’information du ministère, totalement inutilement. On imagine le temps et les ressources humaines ainsi perdus…

Des registres publics qui obligent à faire des demandes d’accès!

Outre que cela devrait attirer l’attention de la Commission permanente de révision des programmes, cela démontre aussi l’archaïsme du traitement de l’information environnementale au sein du ministère et l’urgente nécessité de procéder à certaines réformes, dont celle des registres « publics » du ministère. Ainsi le registre public sur les certificats d’autorisation délivrés [2] vous oblige à faire une demande d’accès à l’information pour obtenir une copie du certificat recherché. En effet, le registre n’indique que le nom du titulaire de l’autorisation, le numéro du certificat d’autorisation, le type d’autorisation, la date de réception de la demande et la date de l’autorisation. Vous voulez connaître les conditions d’autorisation, ce qui a finalement été accordé comme seuil de pollution? Le registre ne vous sert à rien, puisque la version numérisée du certificat d’autorisation n’est pas accessible par Internet, contrairement à ce qui se fait en Ontario ou aux États-Unis. Vous devez donc faire une demande d’accès au ministère pour l’obtenir. Comme la Loi sur la qualité de l’environnement prévoit que ces certificats sont publics, vous recevrez normalement une réponse positive du ministère et le document en question dans un délai allant de 20 à 30 jours.

Cependant, il y a alors de fortes chances que la lecture du certificat d’autorisation ne vous avance guère sur les conditions d’autorisation accordées. En effet, le certificat est généralement un document de 2-3 pages où on réfère très souvent à des documents envoyés par le demandeur d’autorisation, un « tiers » au sens de la Loi sur l’accès. Par exemple, dans le cas d’une centrale hydroélectrique, le ministre écrira que le débit réservé (la quantité d’eau que doit laisser passer l’ouvrage) doit respecter l’engagement qui se trouve dans une lettre ou une étude envoyée par le promoteur sur le sujet à telle date. D’ailleurs, les certificats d’autorisations indiquent toujours que « ces documents font partie intégrante du certificat d’autorisation » et que « le projet devra être réalisé et exploité conformément à ces documents ». Il est très fréquent que les conditions d’autorisation se retrouvent dans les documents fournis par les tiers et non sur le certificat d’autorisation comme tel. Vous devrez donc faire une autre demande d’accès à l’information pour obtenir ces documents, mais alors la réponse du ministère sera très probablement négative puisque les tiers ont un droit de veto sur la divulgation de ces documents, en vertu de la Loi sur l’accès. En n’inscrivant pas les conditions de son autorisation directement sur le certificat d’autorisation qui est public, le ministère sait pertinemment que la divulgation de ces conditions relèvera alors du bon vouloir des entreprises. Alors que la Loi sur la qualité de l’environnement reconnait le droit des citoyens de prendre une injonction pour faire respecter les conditions d’autorisation d’un projet, l’interprétation retenue de son article 118.5 ne rend pas obligatoire la divulgation des documents établissant ces conditions d’autorisation.

Mais, pourquoi la Loi sur l’accès s’applique-t-elle alors que la LQE écarte son application des renseignements faisant l’objet de ce registre? Parce que le ministère, au début des années 1990, a changé son fusil d’épaule et appuyé devant les tribunaux la position des entreprises à l’effet de ne plus divulguer les documents mentionnés au certificat d’autorisation. L’accès à l’information et la participation du public sont pourtant des principes du développement durable, dont le ministère à la responsabilité! Aucun gouvernement, peu importe le parti au pouvoir, n’a fait quoi que ce soit depuis pour corriger cette situation, malgré tous les beaux discours sur la « transparence »…

On constate la même chose pour le registre consacré aux projets soumis à la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement . Ainsi, on peut y voir que TransCanada a déposé un avis de projet pour le projet de port de Cacouna le 4 mars 2014 et que le MDDELCC lui a transmis sa directive pour l’élaboration de l’étude d’impact le 26 du même mois. Mais, ce registre ne donne pas accès à cette directive, publique en vertu de la loi, et il faut à nouveau une demande d’accès pour l’obtenir! Autres délais inutiles, autres gaspillages de temps et de ressources humaines, tant au sein du ministère que pour les demandeurs.

Une urgente modernisation est nécessaire

Les registres publics du MDDELCC ne tiennent pas compte des possibilités offertes par les nouvelles technologies pour faciliter le droit d’accès à l’information environnementale et ne donnent pas accès aux documents mentionnés par un simple clic sur un lien électronique à cet effet. Ces registres n’ont pas été adaptés pour satisfaire aux exigences du développement durable et à ses principes juridiques. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les citoyens et les groupes environnementaux perdent confiance dans l’efficacité des mécanismes d’information environnementale mis à leur disposition. Cela contribue à accentuer le cynisme existant vis-à-vis nos institutions. Il est donc important de corriger les lacunes soulevées, tant pour la santé de l’environnement que pour celle de notre démocratie.


 

[1] http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/ministere/rapports_annuels/ , p. 33.
[2] http://www.registres.mddelcc.gouv.qc.ca/index_LQE.asp articles 118.5.1 et 118.5.3 LQE
[3] http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/evaluations/lisprodi.htm#2014