Le 23 janvier 2014

Par Me Jean Baril, LL.D., administrateur du CQDE

Onze représentants du milieu politique et économique ont signé récemment un « Manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole » où on peut lire : « Des milliards de barils de pétrole seraient disponibles à l’île d’Anticosti, à Old Harry et en Gaspésie. Le Québec aurait la chance d’avoir des réserves impressionnantes de pétrole. »[1] Or, l’utilisation du mot « réserves » est strictement réglementée par la Loi sur les valeurs mobilières et son Règlement 51-101 sur l’information concernant les activités pétrolières et gazières[2].

On y définit les « réserves » comme étant « les réserves prouvées, probables ou possibles » et un «vérificateur de réserves qualifié» est une personne physique qui remplit les conditions suivantes:

a) à l’égard de données relatives aux réserves particulières, de l’information sur les ressources ou de l’information connexe, elle possède les compétences professionnelles et l’expérience requises pour effectuer l’estimation, l’évaluation, l’examen et la vérification des données relatives aux réserves, de l’information sur les ressources et de l’information connexe;
b) elle est membre en règle d’un ordre professionnel.

Ce vérificateur indépendant doit attester de l’existence d’éventuelles réserves et les entreprises pétrolières ou gazières inscrites à la Bourse ne peuvent faire miroiter de faux espoirs à leurs actionnaires ou à d’éventuels investisseurs sans preuve[3]. Les entreprises concernées s’abstiennent donc d’utiliser le terme « réserves » et, par exemple, le président de Petrolia, dans sa dernière lettre aux actionnaires de l’entreprise indique : « Si le puits Haldimand 4 remplissait ses promesses, Pétrolia serait en mesure d’inscrire des réserves à son bilan… »[4]. Pour le moment, aucune entreprise ne fait état de réserves de pétrole au Québec, alors que les signataires du manifeste, dont certains sont des gens d’affaires influents, se permettent d’affirmer que le Québec a des « réserves impressionnantes ». Sauf cet aspect, il est par ailleurs « impressionnant », pour demeurer dans le vocabulaire utilisé dans le manifeste, de constater la forte similitude entre la lettre aux actionnaires de Petrolia, signée par son président, et le contenu du manifeste des onze.

D’autre part, la lecture des états financiers de Petrolia et du rapport de l’auditeur indépendant qui les a examinés démontre qu’il n’y a pas que la situation financière du Québec qui devrait mériter notre attention, mais aussi celle de Petrolia. Surtout si on compte sur ses activités pour sauver nos finances publiques ! Dès le départ, l’auditeur fait part d’une importante observation :

Sans assortir notre opinion d’une réserve, nous attirons l’attention sur la note 1 des états financiers qui décrit les faits et circonstances indiquant l’existence d’une incertitude significative susceptible de jeter un doute sur la capacité de la Société à poursuivre à long terme son exploitation mais sans pour autant compromettre son existence à court terme[5].

Cette première note de l’éditeur indique, entre autres :

La Société n’a pas encore déterminé si les propriétés pétrolières et gazières et les frais d’exploration renferment des réserves d’hydrocarbures pouvant être exploitées économiquement. […]

Les états financiers ci-joints ont été préparés conformément aux normes internationales d’information financière (« IFRS »), applicables à une société en continuité d’exploitation, qui considère la réalisation des actifs et le règlement des passifs dans le cours normal des affaires à mesure qu’ils arrivent à échéance. Dans son évaluation visant à déterminer si l’hypothèse de continuité d’exploitation est appropriée, la Direction tient compte de toutes les données disponibles concernant l’avenir, qui représente au moins, sans s’y limiter, les douze mois suivant la fin de la période de présentation. La Direction est consciente, en faisant cette évaluation, qu’il existe des incertitudes importantes en lien avec des événements et des conditions et un doute important quant à la capacité de la Société d’assurer la continuité de son exploitation et, par conséquent, la pertinence de l’utilisation des IFRS applicables à une société en continuité d’exploitation, tels qu’ils sont décrits dans le paragraphe suivant. Ces états financiers ne reflètent pas les ajustements à la valeur comptable des actifs et des passifs, aux dépenses et aux classifications de l’état de la situation financière qui seraient nécessaires si l’hypothèse de continuité d’exploitation s’avérait inappropriée. Ces ajustements pourraient être importants[6]. (mes soulignés)

Donc, les milliards de revenus pour les coffres de l’État québécois, le « pactole norvégien » et l’essor économique que nous font miroiter les signataires du manifeste semblent relever beaucoup plus du rêve que d’une analyse de la réalité. Comme ces signataires ont lancé « un appel à l’ensemble des parties prenantes de la société pour qu’elles fournissent des informations vérifiées et qu’elles évitent d’entretenir ou de nourrir des craintes non justifiées uniquement pour contribuer à la défense de leur cause », nous croyons bon de leur rappeler ce que prévoit la loi et ce qu’indiquent les rapports financiers quant aux supposées « réserves impressionnantes de pétrole » du Québec…

N.B. Je remercie M. Sylvain Archambault, de la Coalition Saint-Laurent, pour ses informations.


[3] Voir spécialement la section 5.2 du Règlement

[4] Petrolia, Rapport annuel 2012, [en ligne] http://petrolia-inc.com/petrolia-inc/fr/investisseurs/accueil p.3

[5] Id., p. 34

[6] Id., p. 38

*Le Blogue du CQDE regroupe des analyses de l’actualité juridique environnementale, rédigées par des membres de l’équipe du CQDE. Les propos exprimés dans ces textes n’engagent que leurs auteurs.