Texte d’opinion publié dans La Presse le 18 décembre 2021 signé par Sophie-Anne Legendre, directrice générale par intérim du CQDE. 

Le 19 octobre dernier, le gouvernement du Québec a pris la décision de « renoncer définitivement à extraire des hydrocarbures sur son territoire ». Sans surprise, cette annonce a été suivie de pressions de l’industrie qu’il nous apparaît nécessaire d’éclairer dans une perspective juridique.

Dans son rapport de juin dernier, le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) rappelait la souveraineté de l’Assemblée nationale du Québec pour mettre fin aux activités d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures sur l’ensemble de son territoire, sans indemnisation, et même rétroactivement. Le Québec a d’ailleurs su utiliser ce pouvoir à plus d’une reprise, notamment en 2011 dans la Loi limitant les activités pétrolières et gazières qui précise qu’elle « ne donne droit à aucune indemnité de la part de l’État ».

Recadrer l’argument sur l’« expropriation »

Dans un récent communiqué, une entreprise affirmait « qu’en expropriant ces entreprises pétrolières et gazières, le Québec doit respecter sa propre législation et payer sa juste valeur ». Or, le droit de propriété n’est pas un droit absolu. En effet, la possibilité de limiter le droit de propriété a été reconnue à maintes reprises par les tribunaux, notamment pour des objectifs de protection de l’environnement. Le Code civil du Québec et la Loi sur l’expropriation n’étant pas des lois quasi constitutionnelles ou constitutionnelles, il est tout à fait possible d’adopter une loi plus spécifique qui aurait préséance sur ces dispositions générales.

Le législateur peut procéder ainsi sans la moindre indemnisation, à condition d’adopter une loi qui exprime clairement son intention, comme cela a déjà été fait à d’autres occasions. Cela n’enfreint aucune règle de droit.

Prévisibilité

Pendant que de grands fonds d’investissement quittent massivement le secteur des énergies fossiles, que les effets des changements climatiques se multiplient et que des mobilisations citoyennes historiques se déroulent aux quatre coins du monde, nul ne peut sincèrement s’étonner du déclin de cette industrie, alors que depuis un certain temps de nombreux signaux pointent vers un contexte d’investissement non favorable au Québec, ou du moins un contexte manifestement hasardeux.

D’ailleurs, plusieurs entreprises concernées sont très au fait de l’incertitude quant à l’exploration et l’exploitation des ressources pétrolières et gazières au Québec, selon l’information que celles-ci transmettent officiellement aux autorités des marchés financiers. Par exemple, l’une d’elles a reconnu en 2019 qu’« une incertitude significative persiste toujours sur le futur de l’exploration pétrolière au Québec ». Un investissement est par nature imprévisible. Or, justement, la prévisibilité dans le monde des affaires et de la réglementation est un atout et non un droit. La Cour supérieure écrivait en 2014 que « nul ne peut prétendre avoir l’assurance qu’il n’y aura aucun changement législatif, ni jouir d’une absolue garantie à la pérennité d’une loi ».

Choix politique

Pour aller à l’essentiel, l’indemnisation est un choix politique auquel le législateur n’est pas juridiquement tenu. C’est pourquoi de nombreux acteurs invitent le gouvernement du Québec à faire preuve de courage politique pour intégrer dans la loi la non-indemnisation des entreprises concernées. À l’heure où les occasions d’investissements pour une transition énergétique sont plus présentes et nécessaires que jamais, et sachant que cette même industrie a déjà légué un passif environnemental qui continuera d’accaparer d’importants fonds publics, la question se pose : est-il responsable de verser des millions de dollars de fonds publics à une industrie ayant si lourdement contribué à créer la crise climatique ?

Il s’agit d’un moment clé pour la crédibilité du Québec en matière climatique.

En effet, n’étant pas aussi dépendant de cette industrie que d’autres États, la décision d’en interdire les activités en territoire québécois est avant tout un geste de leadership. Les yeux du monde étant tournés vers le Québec à la suite de ce geste important, des indemnisations d’envergure risquent d’augmenter les coûts de la transition dans les autres États qui souhaiteraient suivre notre exemple. Le Québec a donc maintenant une responsabilité cruciale, non seulement envers ses propres contribuables, mais aussi envers la communauté internationale qu’il tente d’inspirer.