Historique de l’action collective

L’action collective, autrefois appelée recours collectif, a été introduite au Québec à la fin des années 1970. Ayant principalement en tête de protéger les consommateurs vulnérables face aux compagnies multinationales qui restaient souvent impunies lorsqu’elles contrevenaient aux lois québécoises, le gouvernement de l’époque a été un pionnier en adoptant cet outil qui permettait de rééquilibrer les rapports de force. L’action collective est aujourd’hui une procédure utilisée non seulement pour la protection des consommateurs, mais aussi, par exemple, celle des investisseurs, des victimes d’agressions sexuelles, des personnes incarcérées et des citoyens dont l’environnement a été pollué. 

L’action collective, qu’est-ce que c’est?

Il est important de comprendre que l’action collective n’est pas un droit collectif. L’action collective est un véhicule procédural. Ça veut dire qu’il s’agit d’une procédure juridique particulière afin d’entreprendre une action en justice

L’action collective est possible quand de nombreuses personnes ont vécu une même situation (par exemple, la pollution ou la contamination de leur environnement). Une seule personne peut alors demander à la Cour supérieure de l’autoriser à agir pour un groupe : c’est le ou la représentant·e. Cette personne, avec son avocat·e, présentera une demande pour l’entièreté des personnes qui ont vécu la même situation qu’elle (les membres du groupe)

Bien que la personne représentant le groupe n’ait pas à obtenir l’autorisation de toutes ces personnes, les décisions prises par le tribunal s’appliqueront à tous les membres du groupe. Cependant, une personne ne désirant pas être incluse dans l’action collective peut s’en exclure lors de la période prévue à cet effet et ainsi conserver ses droits, qu’elle pourra faire valoir elle-même dans une action en justice ordinaire.

L’action collective suppose que les membres du groupe ont tous un droit individuel. Autrement dit, chaque personne pourrait intenter individuellement une action, mais celle-ci serait coûteuse et la somme de ces actions individuelles engorgerait le système judiciaire. C’est pourquoi il est souvent plus avantageux de faire appel à l’action collective dans les cas où les réclamations sont relativement peu élevées et qu’il serait alors plus tentant de rester passif devant une violation de ses droits.

L’image de l’autobus

Une façon d’illustrer la nature de l’action collective est l’image de l’autobus. Pour se déplacer d’un point A à un point B, chacun peut prendre sa propre voiture. Comme dans le cas d’une multiplicité d’actions individuelles, chacun paie les frais reliés à l’utilisation de sa voiture et la somme de ces déplacements sur le même tronçon routier crée de la congestion routière. Mais ces personnes pourraient aussi prendre l’autobus, puisqu’elles partagent le même trajet (elles ont une cause commune ou similaire à faire valoir). Comme dans un autobus, il n’y a qu’un chauffeur (le représentant de l’action collective et ses avocats). Celui-ci guide et transporte tous les autres passagers (les membres du groupe) vers la destination commune. De cette façon, la route est plus fluide (les tribunaux sont moins engorgés) et les frais de déplacement (frais de justice, frais d’avocats, frais d’experts, etc.) sont réduits pour chacun. Le passager est libre de sortir aux arrêts spécifiques (pendant la période d’exclusion) et pourra continuer son trajet avec le moyen de transport qu’il désire (dans le cas de réclamations individuelles).

Les 3 objectifs de l’action collective

Les tribunaux ont identifié 3 objectifs à l’action collective.

  • L’action collective permet un plus grand accès à la justice: En collectivisant les réclamations d’une multitude de membres, l’action collective permet à ces membres d’obtenir réparation pour une cause que chacun d’entre eux n’aurait  vraisemblablement pas portée seul.
  • L’action collective vise à modifier les comportements des entreprises: Autrefois, puisqu’il était très ardu pour les consommateurs d’obtenir justice lorsqu’un commerçant commettait des actes illégaux, celui-ci pouvait décider d’assumer le faible risque d’être poursuivi et de perpétuer ces actes illégaux. Avec l’action collective, il est plus facile de tenir certains acteurs responsables de leurs actions préjudiciables. Avant d’enfreindre la loi, les entreprises doivent donc prendre en compte le risque d’être poursuivies par le biais d’une action collective. Les montants élevés résultant de la somme des réclamations des membres permettent de rééquilibrer les rapports de force et, ainsi, d’inciter les entreprises à modifier leurs comportements pour se conformer aux lois du Québec.
  • L’action collective vise à réduire l’utilisation des ressources judiciaires: Comme dans le cas de passagers partageant le même autobus, les membres d’une action collective partagent une ou des questions similaires ou communes. Sans passer par l’action collective, elles devraient toutes, une à une, obtenir un jugement qui répondrait essentiellement de la même façon à toutes les questions. L’action collective permet donc une optimisation des ressources du système judiciaire.

L’étape d’autorisation de l’action collective

Lorsqu’une personne seule souhaite en poursuivre une autre, le juge se penchera sur les questions soulevées par le litige dans le cadre d’un procès, sans autre formalité. Pour entreprendre une action collective, il faut d’abord que la personne qui souhaite représenter les autres membres demande l’autorisation du tribunal. 

Les quatre critères analysés par un tribunal pour autoriser une action collective

  • Des questions de faits ou de droit communes, similaires ou connexes sont soulevées par les demandes des membres du groupes

Tous les membres du groupe doivent avoir vécu une situation similaire sans qu’elle n’ait à être identique. Ce critère est appliqué de façon très large.

L’action collective n’est pas soumise à l’obligation de régler le litige en entier pour tous les membres du groupe. Il suffit qu’il existe au moins une question commune qui n’est pas négligeable à l’issue du litige. Il n’est donc pas nécessaire de solutionner l’entièreté du litige de façon commune. Par exemple, le représentant peut prouver que le défendeur a commis une faute et que celle-ci a causé un préjudice aux membres, tout en laissant à chaque membre le soin de produire une réclamation individuelle pour démontrer l’ampleur de ce préjudice.

  • Il y a une apparence de droit

Ce critère permet de séparer les actions collectives frivoles ou manifestement non fondées de celles qui ont du sérieux. Le représentant doit proposer un raisonnement juridique défendable à première vue. Encore une fois, ce critère est appliqué de façon très souple par le tribunal, puisque le demandeur n’a pas encore toute la preuve en main pour établir le bien-fondé de sa réclamation. 

Ce critère ne sert pas à trancher d’avance la question de fond et n’a pas pour effet de donner raison à l’une ou l’autre des parties.

  • L’utilisation d’un autre véhicule que l’action collective serait complexe ou difficilement applicable

Ce critère prévoit que l’action collective, sans être le meilleur ou le seul moyen possible pour les demandeurs d’obtenir justice, facilite leur demande.

Au Québec, il est possible de mandater une personne pour qu’elle agisse en justice  pour notre compte. Il est aussi possible de joindre deux demandes en justice  pour qu’elles soient entendues ensemble. Ces deux procédures sont toutefois des moyens distincts de l’action collective.

Pour qu’une action collective soit autorisée, il faut que ces deux autres moyens  soient difficilement utilisables ou peu pratiques.

  • Le ou la représentante peut assurer son rôle de façon adéquate

Ce critère vise à protéger les membres du groupe que le représentant souhaite représenter. Le représentant doit avoir un intérêt juridique dans le litige, il doit être minimalement compétent et il ne doit pas avoir de conflit d’intérêt avec les autres membres qui forment le groupe. Toutefois, rien n’empêche un avocat d’aller chercher lui-même un représentant pour un dossier dans lequel il pense qu’il y a une possibilité de réussite d’une action collective.

Si le tribunal autorise l’action collective, la poursuite va de l’avant de façon similaire à une action ordinaire, jusqu’au stade du recouvrement. À ce stade, le tribunal peut ordonner un recouvrement collectif (s’il peut estimer de façon suffisamment précise le total des réclamations) ou individuel (s’il reste des questions individuelles à décider).

L’action collective et le droit de l’environnement

L’action collective est une procédure qu’il est possible d’utiliser en droit de l’environnement pour faire reconnaître ses droits. L’action collective peut être autorisée pour une foule de dommages liés à l’environnement. Que ce soit pour des niveaux de bruits trop élevés, des odeurs nauséabondes ou des particules toxiques qui se dispersent, les tribunaux ont souvent autorisé les actions collectives en environnement au Québec. Certains procès ont mené à des victoires, alors que d’autres se sont soldés par des échecs.

4 exemples d’action collective en environnement au Québec

L’affaire Ciment Saint-Laurent est l’exemple le plus célèbre. Dans cette action collective, les demandeurs réclamaient une compensation pour les désagréments causés par une cimenterie qui dégageait énormément de poussière et dont émanait des odeurs nauséabondes et du bruit. Après avoir été autorisée, l’action collective a mené à un procès sur le fond, puis à des appels jusqu’à la Cour suprême du Canada. Au terme des procédures judiciaires, les membres du groupe ont reçu une compensation variant selon la distance entre leur résidence et la cimenterie. L’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada est, encore à ce jour, l’une des décisions les plus importantes en ce qui a trait aux troubles de voisinage.

En 2018, l’organisme Environnement Jeunesse a déposé une demande d’autorisation d’exercer une action collective au nom de tous les jeunes de 35 ans et moins résidant au Québec afin, d’une part, de faire déclarer que le comportement du gouvernement fédéral en matière de lutte contre les changements climatiques « porte atteinte aux droits des jeunes » et, d’autre part, d’obtenir une « condamnation en dommages punitifs ».  La Cour supérieure du Québec, puis la Cour d’appel ont rejeté la demande d’autorisation et la Cour suprême a refusé d’entendre la cause en appel. La Cour d’appel a estimé que les questions soulevées relevaient davantage du pouvoir législatif ou exécutif que du judiciaire.

En 2015, dans les suites de l’affaire Dieselgate qui a mis au jour les pratiques trompeuses de la compagnie automobile Volkswagen (qui a faussé les résultats de tests d’émissions polluantes de ses voitures), une action collective a été autorisée pour réclamer des dommages punitifs au nom de tous les Québécois puisqu’ils ont tous respiré les émissions d’oxyde d’azote excédentaires des véhicules non-conformes. Le débat sur l’autorisation de cette action collective s’est rendu jusqu’à la Cour suprême du Canada en 2019, où le CQDE est intervenu. Après avoir plaidé coupable aux poursuites pénales intentées par l’État canadien et payé une amende record de 196,5 millions de dollars, la compagnie a réglé l’action collective à l’amiable. L’entente de règlement prévoit le versement d’une somme de 6,7 millions de dollars pour la réalisation de projets environnementaux au Québec. 

En 2021, la Cour supérieure a autorisé une action collective déposée par des propriétaires de terrains situés en bordure du fleuve Saint-Laurent. L’action collective vise à obtenir des dommages et intérêts pour des troubles découlant de l’érosion des berges due au passage de bateaux sur un chenal appartenant au gouvernement fédéral.

En conclusion, l’action collective est une voie différente pour un⋅e citoyen⋅ne afin de faire valoir ses droits en matière d’environnement. Que ce soit pour une atteinte à la qualité de l’environnement ou pour des troubles de voisinage, l’action collective peut être une avenue intéressante pour faire valoir ses droits puisqu’elle entraîne une réduction des coûts.  L’utilisation judicieuse de l’action collective contre des entreprises et des institutions pour les tenir responsables de leurs atteintes à l’environnement peut donc contribuer à changer leurs comportements et à appliquer le principe du pollueur-payeur.


Attention:  Cet article présente le droit en vigueur au Québec et est fourni à titre informatif uniquement. Il ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprété comme tel. Pour obtenir des conseils juridiques, vous pouvez consulter un·e avocat·e ou un·e notaire. Pour obtenir de l’information juridique, vous pouvez contacter les juristes du CQDE.  

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