Par Alexandre Desjardins, Avocat au Centre québécois du droit de l’environnement

Le gouvernement du Québec a transmis à différents acteurs impliqués dans la malheureuse catastrophe survenue il y a quelques semaines à Lac-Mégantic, une ordonnance de récupérer le pétrole ainsi que tous les autres contaminants qui ont été émis dans l’environnement. En réaction, World Fuel Services Corporation, l’entreprise propriétaire du pétrole contenu dans les wagons-citernes, aurait déclaré avoir de « sérieuses objections quant à la légalité de cette ordonnance ». Que prévoit la législation environnementale québécoise à ce sujet?

L’ordonnance émise le 29 juillet dernier par le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs est basée sur l’article 114.1 de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE). Cet article, adopté en 1978 à l’occasion de l’importante refonte de la LQE qui a notamment mis en place le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), donne au ministre responsable de l’Environnement le pouvoir d’ordonner à toute personne qui est propriétaire ou qui a la garde ou le contrôle de contaminants déversés dans l’environnement, de prendre les mesures requises pour nettoyer l’eau ou le sol qui ont été contaminés.

Ce pouvoir d’urgence peut viser un large spectre de personnes. Il n’est donc pas question de responsabilité pour un déversement, qu’il soit accidentel ou non, mais bien d’élargir les débiteurs potentiels des obligations de décontamination, dans l’objectif, qui nous semble des plus légitimes, d’éviter que ce soit aux pouvoirs publics, et donc à l’ensemble des citoyens, d’avoir à assumer les coûts substantiels qui peuvent être associés à la décontamination de l’environnement suite à un déversement.

C’est aussi pourquoi l’obligation de décontamination est solidaire entre les diverses personnes visées, c’est-à-dire que l’ensemble des obligations prévues dans l’ordonnance peut être réclamée à l’une au l’autre des personnes visées (art. 114.3 LQE).

Cette ordonnance peut être émise sans préavis, ce qui constitue une exception aux principes de droit administratif, mais qui est justifiée par l’urgence des situations associées à ce type d’ordonnance, ce qui est prévu à l’article 118.1.1 de la LQE. Cette ordonnance peut être contestée devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ), mais celle-ci est exécutoire dès son émission, à moins d’une décision à l’effet contraire de la part d’un membre du TAQ.

Enfin, en cas de non-exécution totale ou partielle des obligations contenues dans l’ordonnance, le ministre peut les exécuter et en recouvrer les frais de toute personne qui y était obligée (arts. 113 et 115.1 LQE). Les sommes ainsi dues sont garanties par hypothèque légale sur les biens meubles et immeubles de cette ou de ces dernières (art. 115.1 LQE).

Ainsi, théoriquement, l’ordonnance émise le 30 juillet dernier pouvait bel et bien viser World Fuel Services Corporation, du moins théoriquement. Néanmoins, les pouvoirs prévus à l’article 114.1 LQE n’ont curieusement jamais été examinés par les tribunaux, peut-être parce que ceux-ci n’auraient été que peu utilisés par les pouvoirs publics. Les enjeux financiers en causes étant substantiels, il n’est pas impossible que World Fuel Services Corporation choisisse d’emprunter la voie des tribunaux pour tenter de contester cette ordonnance.

Une chose demeure, bien que l’ordonnance soit exécutoire, la mise en œuvre de celle-ci, à l’instar de bien d’autres dispositions de la législation environnementale québécoise, sera tributaire de la volonté politique d’en assurer l’application. Malheureusement, une catastrophe comme celle qu’ont vécus les Méganticois est parfois nécessaire pour que les décideurs utilisent véritablement les importants pouvoirs qui leur sont dévolus en matière de protection de l’environnement.