Texte d’opinion publié dans Le Devoir le 18 mars 2023 signé par Marc Bishai (CQDE)’ Leah Temper (ACME) et Andréanne Brazeau (Équiterre)

La Loi sur la concurrence du Canada, qui régit la concurrence sur le marché national, fait actuellement l’objet d’une consultation publique en vue de la réforme visant sa modernisation. Malheureusement, la consultation ne prend pas en compte une menace lourde de conséquences pour l’économie canadienne, soit les changements climatiques.

Dans une économie mondiale où les industries polluantes sont de plus en plus considérées comme un boulet, le Canada risque de perdre un avantage concurrentiel s’il n’arrive pas à intégrer la durabilité environnementale dans sa politique économique.

En tant que défenseurs de la santé publique, environnementalistes et spécialistes du droit, nous croyons que la modernisation de cette loi offre une occasion parfaite d’innovation. Les pratiques commerciales durables doivent faire partie intégrante de la réglementation de la concurrence sur le marché canadien afin de s’assurer que les entreprises d’ici puissent s’adapter aux impacts des changements climatiques — et à la transition qu’ils nécessitent — tout en demeurant compétitives à l’échelle nationale et internationale.

L’écoblanchiment, un fléau à éradiquer

Dans une économie où la durabilité fait vendre, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser passer cette occasion. D’ailleurs, des études estiment que les incidences sur l’environnement influencent les décisions d’achat de près de 60 % des consommateurs.

L’écoblanchiment est toutefois un phénomène répandu et systémique : les entreprises présentent leurs services ou leurs produits de manière à faire croire qu’ils sont favorables à un avenir durable. Une enquête réalisée en 2021 par les autorités européennes de protection des consommateurs a révélé que 42 % des déclarations environnementales des entreprises étaient exagérées, fausses ou trompeuses. Une enquête plus récente de l’autorité australienne de la concurrence a découvert que ce pourcentage était plus élevé, 57 % des entreprises se livrant à l’écoblanchiment. Non seulement cette pratique trompe les consommateurs et le public, mais elle nuit également aux entreprises véritablement durables et entrave les progrès vers un climat sain et stable.

L’Europe lance des initiatives novatrices qui intègrent la durabilité dans l’application de ses lois sur la concurrence visant à protéger les consommateurs, à stimuler l’innovation verte et à sauvegarder l’environnement. La législation proposée par l’Union européenne interdira l’utilisation de termes génériques, comme « respectueux de l’environnement », qui présentent une image positive, mais qui sont pratiquement toujours vidés de leur sens.

Autre exemple : la France exige que les publicités comportant des déclarations environnementales, telles que « carboneutre » ou « net zéro », fournissent un code QR qui renvoie aux études et données à l’appui. De son côté, l’Autriche autorise les entreprises à collaborer sur les enjeux liés au développement durable, ce qui permettrait aux agriculteurs de travailler ensemble pour réduire les pesticides et protéger le bien-être des animaux au-delà des normes existantes.

Et nous ?

Si le Canada ne prend pas des mesures similaires pour inciter les entreprises à emboîter le pas, la transition vers une économie durable et réellement carboneutre sera vouée à l’échec. La dégradation de l’environnement se poursuivra à un rythme soutenu. Néanmoins, les entreprises ne sont guère incitées à prendre le virage vert lorsqu’elles peuvent faire de beaux discours sans passer à l’acte.

Dans les faits, un certain nombre parmi les plus grandes entreprises canadiennes (et les plus grands pollueurs) pratiquent activement l’écoblanchiment. La Banque Royale du Canada affirme haut et fort être un leader en matière de climat, alors qu’elle se classe au cinquième rang mondial pour le financement de la production de combustibles fossiles. L’Association canadienne du gaz nous assure que le gaz naturel fracturé est propre et très abordable, même si des études montrent que l’utilisation du gaz dans nos maisons provoque de l’asthme chez nos enfants et que les thermopompes sont plus rentables que les chaudières à gaz. Les plus grandes sociétés pétrolières et gazières du Canada se disent toutes « engagées » en faveur d’un avenir net zéro, mais s’opposent résolument aux politiques climatiques nécessaires et cherchent à accroître la production de combustibles fossiles. Cette attitude est en contradiction directe avec les orientations récentes d’un groupe de travail des Nations unies dirigé par Catherine McKenna, qui a défini le sens que doit prendre l’affirmation d’une entreprise en faveur d’un avenir carboneutre pour qu’elle soit authentique.

Le Bureau de la concurrence — l’organisme fédéral de surveillance de la concurrence — a ouvert des enquêtes sur certaines de ces questions, mais notre régime actuel offre des solutions réactives et fragmentaires à un problème plus large. En plus, les entreprises ne disposent même pas de directives actualisées du Bureau au sujet des déclarations environnementales qu’elles peuvent faire. Le Canada a donc besoin d’une réforme législative qui corresponde aux meilleures pratiques internationales. Sans réforme, le Bureau aura la difficile tâche de mettre un terme à l’écoblanchiment et à la désinformation endémique des entreprises.

Comme le tabac

Il a fallu plus de 30 ans pour restreindre la publicité sur le tabac après notre prise de conscience des risques pour la santé que présentait le tabagisme. L’urgence des changements climatiques ne nous accordera pas autant de temps. La législation canadienne ne fournit pas suffisamment de mesures incitatives ou d’orientations aux entreprises pour une exploitation durable. Elle récompense les pollueurs et met en péril les entreprises véritablement durables, parmi lesquelles figurent plusieurs PME. Les consommateurs en paient également le prix en raison des répercussions sur leur environnement et sur leur santé. Il faut renverser la vapeur.

La réforme du droit de la concurrence n’est pas la seule réponse à la crise climatique. Elle constitue cependant un levier important, étant donné qu’elle veille à ce que la pression concurrentielle incite à une utilisation efficace des ressources limitées de notre planète et complète les politiques environnementales et climatiques. Comme l’a fait remarquer l’Union européenne, la réforme du droit de la concurrence s’inscrit dans le cadre d’une initiative plus vaste visant à atteindre « rien de moins qu’un nouveau modèle économique ».

Le plus important défi que devront affronter tous les échelons de la société — y compris les entreprises — au cours des 30 prochaines années est la transformation vers une économie durable, réellement carboneutre, conformément aux objectifs de l’Accord de Paris. La modernisation de la Loi sur la concurrence doit refléter cette réalité.

 

Signataires

Marc Bishai, avocat au Centre québécois du droit de l’environnement

Leah Temper, économiste écologique et directrice de la campagne « Les publicités sur les combustibles fossiles nous rendent malades » à l’Association canadienne des médecins pour l’environnement

Andréanne Brazeau, analyste politique chez Équiterre depuis 2020