Le texte qui suit est tiré du livre Sortir le Québec du pétrole. Vous pouvez vous procurer cet ouvrage dans l’une des librairies indépendantes suivantes: http://quebecois.leslibraires.ca/livres/sortir-quebec-petrole-9782924283332.html

PétroleC1


 

Par Michel Bélanger, Karine Péloffy et Renaud Gignac

Les auteurs sont respectivement président, directrice et stagiaire du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE)

Amendements législatifs récents par le gouvernement fédéral et recours judiciaires provinciaux

Le gouvernement du Canada manque depuis plusieurs années à ses responsabilités de protéger l’environnement. Ne pensons qu’au projet de loi C-38 dit « mammouth » de 2012 et à l’omission continue d’imposer des limites d’émissions de gaz à effet de serre (GES) au secteur du pétrole et gaz depuis l’entrée au pouvoir des Conservateurs..

Dans une lettre ouverte publiée à l’été 2012, plus de 120 juristes du Canada et du Québec dénonçaient le projet de loi budgétaire mammouth du gouvernement fédéral qui amendait, sans consultation publique, 70 lois distinctes. 30% des 420 pages étaient dédiées au démantèlement des mécanismes canadiens d’évaluation environnementale. Les modifications législatives ont aujourd’hui des impacts multiples et significatifs : discrétion ministérielle pour exempter des projets industriels d’une évaluation environnementale, affaiblissement de la protection des habitats de poissons prévue à la Loi sur les pêcheries, pouvoir accordé à l’Office national de l’énergie d’autoriser des oléoducs malgré la destruction de l’habitat d’espèces en péril, et bien d’autres.

Dans ce contexte, assurer la compétence provinciale en matière environnementale est vital si nous visons une protection effective du territoire. C’est l’une des implications de la décision rendue par la Juge Roy dans l’affaire CQDE c. TransCanada[1], où la Cour a appliqué la Loi sur la qualité de l’environnement provinciale à un projet de port d’exportation et ce, dans un contexte où l’entreprise répète n’être assujettie qu’à la juridiction fédérale.

Pour la première fois, le gouvernement du Québec, pressé par les organisations écologistes et les citoyens, a dû affirmer sa compétence sur une espèce reconnue comme menacée par la législation provinciale depuis 15 ans, le béluga du St-Laurent. Au terme d’une lutte judiciaire de mai à septembre 2014, les travaux dans la pouponnière des bélugas, prévus pour durer des mois, n’ont pu être réalisés que pour une dizaine de jours. Une injonction interlocutoire obtenue par les avocats du CQDE allait empêcher les travaux pour le reste de la période critique[2]. Nous apprenions plus tard du ministère de l’Environnement que lors de ces jours de forages, le niveau de bruit maximal à être atteint a été entendu à une distance 5 fois plus grande que celle prévue dans les conditions du permis provincial. Le gouvernement ne permit pas la reprise des travaux par la suite.

Espèce emblématique du fleuve, le béluga était « promu » en décembre 2014 au statut d’espèce en voie d’extinction par le comité d’experts pancanadiens chargé de son étude. Au moment d’écrire ces lignes, la ministre fédérale de l’Environnement n’avait pas encore confirmé ce statut par décret et TransCanada refusait toujours d’indiquer si elle abandonnait ou allait de l’avant avec le projet de port pétrolier à Cacouna, dans l’habitat essentiel de l’espèce.

Les rôles ambivalents de promoteur et contrôleur de projet joués par les gouvernements et le rétrécissement de la participation publique

Cette intervention du CQDE, pour forcer in extremis l’application des lois environnementales à l’égard d’une espèce menacée, témoigne du peu d’égards accordés à l’application rigoureuse des lois environnementales au Québec et au Canada. Le même laisser-aller s’observe dans d’autres dossiers portés devant les tribunaux, tel que celui de la rainette faux-grillon et du ginseng à cinq folioles. Que penser alors des autres enjeux environnementaux, moins catastrophiques que la disparition d’une espèce, tels l’accumulation de déchets toxiques, la pollution des sources d’eau potable, la pollution de l’air dans les villes, la contamination des terres agricoles et la perte d’écosystèmes importants, sans compter les changements climatiques qui nous menacent tous ? Comment ces problématiques complexes et de long terme peuvent-elles trouver des égards aux yeux de gouvernements essentiellement portés sur les gains à court terme ?

Les gouvernements provinciaux et fédéraux investissent aujourd’hui des sommes publiques importantes dans des projets pétroliers et se retrouvent ainsi dans la position ambiguë de devoir contrôler les risques environnementaux inhérents à ces projets, tout en reconnaissant y avoir des intérêts économiques et politiques.

Dans ces conditions, comment ne pas réagir face aux différentes mesures législatives adoptées, tant par le fédéral que par le provincial, pour limiter le droit à la participation du public dans ce type de projets ? Ces amendements viennent parfois même court-circuiter une procédure en justice intentée précisément pour revendiquer des droits préalablement reconnus par la loi. Comme juristes, cela nous amène parfois à nous questionner sur l’utilité pratique du droit quand le pouvoir politique utilise les outils législatifs pour changer les règles du jeu en cours de route autour des projets industriels.

Au Québec, ces changements législatifs spéciaux ont été adoptés afin de limiter la portée de l’évaluation environnementale tant au fédéral pour les projets d’oléoducs évalués par l’Office national de l’énergie qu’au provincial pour limiter la consultation entourant les forages exploratoires de Pétrolia à Gaspé et Anticosti[3], et plus récemment, pour confirmer l’absence d’audience publique dans le dossier de la cimenterie à Port-Daniel-Gascon[4], qui sera le plus grand émetteur de GES au Québec.

Des mécanismes de participation publique comme le Bureau d’audience publique en environnement (BAPE) sont utiles dans une démocratie qui cherche à générer des décisions éclairées sur des projets ayant des impacts environnementaux importants ; ils mènent à de meilleures décisions par le fait même de la délibération publique et amènent une meilleure connaissance, et donc à une meilleure gestion des risques environnementaux. Il y a quelques années, le Québec était un modèle de participation publique en matière environnementale au niveau mondial. Or, les projets pétroliers sont maintenant lancés à toute vitesse et sans grande connaissance des risques pour la collectivité.

C’est avec peine que les groupes environnementaux et les citoyens tentent d’assurer un suivi des politiques et lois, dans un contexte où l’on limite sans cesse l’accès à l’information en matière environnementale[5] et la participation publique dans l’élaboration des décisions importantes autour des projets d’envergure.

Retirer la participation citoyenne de ces projets, c’est miner la confiance du public dans le contrôle de la pollution, surtout quand le gouvernement joue à la fois le rôle de promoteur et d’encadreur du projet. Cette perte de confiance du public envers la loi et les institutions environnementales publiques risque inévitablement d’avoir des répercussions, tant environnementales que sociales. Limiter le droit de savoir et de s’exprimer, droits que devraient en principe favoriser des institutions comme le BAPE ou l’ONÉ, n’éteindra pas pour autant les préoccupations légitimes des citoyens, bien au contraire. Vers quels forums se déplacera le débat, s’il est de plus en plus souvent évacué des institutions spécifiquement vouées à la délibération publique ?

Recours judiciaires selon les principes généraux de la responsabilité civile

Par le passé, d’importantes sagas judiciaires ont permis de transformer des industries insuffisamment réglementées par les gouvernements de l’époque, ces derniers ayant refusé d’agir par crainte de nuire à l’économie.. Effectivement, c’est aux vagues de litiges impliquant les compagnies de tabac et d’amiante[6] que l’on doit la prise en charge des risques posés à la santé publique par ces produits. Les recours judiciaires en responsabilité civile générale sont souvent des précurseurs et motivateurs pour l’adoption subséquente de lois visant la protection du publique. Enclencher un recours civil implique toutefois un dommage passé à la santé, aux biens ou à l’environnement, donc inévitablement une action postérieure aux dégradations…

Nous pouvons donc espérer que le droit continue d’évoluer du côté des tribunaux. En effet, en plus des règles écrites, nos systèmes de droit comportent aussi des principes non écrits qui existent dans l’expérience, la mémoire et l’éthique des juges[7]. Ceux-ci sont reconnus comme source formelle de droit dans les provinces de common law en général ainsi qu’en droit constitutionnel canadien, et en droit public québécois[8].

À cet égard, la Cour suprême a confirmé qu’une compagnie peut être responsable de dommages environnementaux même lorsqu’elle n’a pas commis de faute[9] et a laissé entendre qu’on gouvernement pourrait être tenu responsable en cas d’inaction face à une menace environnementale[10].

À défaut d’actions préventives qui auraient été nécessaires pour honorer nos engagements internationaux initiaux en matière de changements climatiques, l’avenue judiciaire sera vraisemblablement l’un des derniers recours vers lesquels risquent de se tourner les victimes des effets des changements climatiques. Le gouvernement du Canada, profondément engagé à favoriser l’exploitation du pétrole issu des sables bitumineux, refuse depuis plusieurs années d’imposer une limite d’émissions de GES au secteur du pétrole et gaz. Face à un contexte où le prix du baril est en baisse, le Premier ministre a même récemment qualifié de « folle » (« crazy ») l’idée de réglementer ce secteur[11]. Résultat : entre 2000 et 2012, les émissions des sables bitumineux ont été complètement hors de contrôle, enregistrant une augmentation de 244 %[12]. Ces événements s’additionnent au retrait du Canada du Protocole de Kyoto et à l’absence de participation constructive aux discussions internationales devant mener à la conclusion d’un nouveau traité contraignant à Paris en décembre 2015.

Quant au Québec, il est difficile de concilier le positionnement de leader dans la lutte aux changements climatiques par la mise en place d’un marché du carbone et le préjugé favorable du gouvernement envers les projets d’exploitation et de transport de pétrole à l’ère de la crise climatique. Il est aussi notable que le degré de certitude de la cause humaine du réchauffement climatique établi par le GIEC soit similaire à celui établi entre le tabagisme et le cancer, ce qui a finalement poussé les gouvernements à légiférer ambitieusement à propos du tabac dans la dernière décennie[13].

Il est trop tôt pour savoir dans quel sens évoluera la jurisprudence environnementale et plusieurs obstacles demeurent. L’accès à la justice au Canada est lamentable[14] et présente des problèmes spécifiques en matière environnementale, où des citoyens ou organismes avec peu de moyens font face à des projets industriels financés par de puissants acteurs économiques[15].

Le bâillon des environnementalistes, la plus récente attaque à la démocratie

Nous apprenions récemment que le projet de loi C-51 accorderait des pouvoirs d’intervention et de surveillance accrus à la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) dans la foulée des mesures visant à contrer le terrorisme. À cet effet, un document interne de la GRC révélait qu’elle considère le mouvement d’opposition au développement effréné de l’industrie pétrolière comme une menace potentielle à la sécurité nationale. Les pouvoirs de police et d’espionnage seraient désormais utilisés afin d’intimider et laisser planer le risque de sanctions pénales contre ceux et celles qui osent remettre en question ces projets.

N’est-ce pas là la plus récente pierre de l’échafaudage législatif visant la promotion des projets pétroliers controversés? Un échafaudage qui, après avoir limité l’accès à l’information des citoyens, bâillonné les scientifiques du gouvernement et limité la participation du public au processus de décision, ajoute finalement des mesures de contrôle de débordements; débordements que les pouvoirs publics auront eux-mêmes générés.

[1] Centre québécois du droit de l’environnement c. Oléoduc Énergie Est ltée, 2014 QCCS 4147.

[2] Centre québécois du droit de l’environnement c. Oléoduc Énergie Est ltée, 2014 QCCS 4398.

[3] Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection, c. Q-2, r. 35.2 ; Pétrolia inc. c. Gaspé (Ville de), 2014 QCCS 360 ; Centre québécois du droit de l’environnement c. Junex inc., 2014 QCCA 849.

[4] Projet de loi n° 37 : Loi confirmant l’assujettissement des projets de cimenterie et de terminal maritime sur le territoire de la Municipalité de Port-Daniel-Gascons au seul régime d’autorisation de l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement ; Requête introductive d’instance en révision judiciaire des demandeurs CQDE, EVP et Lafarge, 1er août 2014.

[5] Centre québécois du droit de l’environnement, « Mémoire déposé dans le cadre de la consultation sur le projet de Stratégie gouvernementale de développement durable révisée 2015-2020 ». Commission des transports et de l’environnement de l’Assemblée nationale, 29 janvier 2015, 17 p.

[6] La vague de recours sur les effets nocifs de l’amiante compte plus de 700 000 litiges contre plus de 8 000 compagnies, pour un coût dépassant les 70 milliards de dollars. C’est le phénomène de litige délictuel le plus long et le plus coûteux de l’Histoire. Carroll, Stephen J. et al. , Asbestos Litigation. Santa Monica, CA: 2005, en ligne.

[7] Posterma, G. J., « Philosophy of the Common Law »  dans Jules Coleman & Scott Shapiro, eds, The Oxford Handbook of Jurisprudence and Philosophy of Law, Oxford: Oxford University Press, 2002, 588 à la p. 599.

[8] Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 R.C.S. 663; Laurentide Motels  Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705; Commentaire du ministre à l’article 1376 du Code Civil du Québec.

[9] Girard, J.-F., « Note sur le jugement Ciment du Saint-Laurent », Centre québécois du droit de l’environnement, 5 décembre 2010.

[10] Colombie-Britannique c. Canadian Forest Products Ltd., [2004] 2 SCR 74, par. 81.

[11] McCarthy, S., « Harper calls climate regulations on oil and gas sector ‘crazy economic policy’ », The Globe and Mail, 9 décembre 2014.

[12] Environnement Canada, « Rapport national d’inventaire : Sources et puits de gaz à effet de serre au Canada 1990-2012 », Partie 1, p. 47.

[13] Mayrand, K., « Le rapport du GIEC confirme une certitude sans précédent », Le Huffington Post Québec, 27 septembre 2013.

[14] Buckley, M., « Atteindre l’égalité devant la justice: une invitation à l’imagination et à l’action », Association du Barreau canadien, août 2013, 51 p.

[15] Péloffy, K., « Kivalina v. Exxonmobil : A Comparative Case Comment », McGill International Journal of Sustainable Development Law and Policy, Vol 9:1, 119, à la page 135.