Lettre ouverte des juristes présentée par le CQDE à l’Office de Consultation Publique de Montréal dans le cadre de la consultation vertMTL sur la dépendance montréalaise aux énergies fossiles. Signer la lettre des juristes.

Nous, juristes, désirons profiter de la consultation publique de la ville de Montréal sur la réduction de la dépendance aux énergies fossiles pour exposer nos préoccupations quant à l’augmentation constante des gaz à effet de serre (GES) et pour rappeler le pouvoir règlementaire que possèdent les villes pour agir en amont et endiguer le réchauffement climatique qui comporte des effets délétères sur la santé et la qualité de vie des Montréalais. C’est pourquoi nous, juristes ayant une appartenance à la communauté métropolitaine, rejoignons la Coalition pour le climat dans son objectif de rendre l’île de Montréal carboneutre dès 2042, à temps pour le 400e anniversaire de la métropole.

La récente conférence de Paris sur le climat a rappelé l’urgence d’agir pour éviter un réchauffement dangereux ainsi que la nécessité d’une approche polycentrique impliquant tous les acteurs pour réussir dans cette tâche, dont les villes. Au Canada, celles-ci sont appelées à jouer un rôle vital puisqu’elles abritent 85% de la population du pays alors que la communauté métropolitaine de Montréal (CMM) représente la moitié de la population du Québec. Consciente de son rôle, la Ville de Montréal s’est donnée pour objectif de réduire de 30% son niveau d’émission de GES par rapport à 1990 d’ici 2020. Cependant, une réduction de seulement 6% était atteinte en 2009.

Guidé par les nombreux rapports du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le consensus scientifique et politique international est sans équivoque : à l’horizon 2050, les pays industrialisés devront être décarbonisés si nous voulons éviter les effets les plus catastrophiques des changements climatiques. De ce consensus découle une obligation d’agir de plus en plus reconnue par les tribunaux de plusieurs pays.

Les villes peuvent agir sur plusieurs fronts sur la question, y compris du point de vue normatif. En effet, dès 2001 la Cour suprême du Canada reconnaissait le rôle crucial des municipalités en environnement au nom du principe de subsidiarité, selon lequel le niveau de gouvernance le plus près des citoyens devrait disposer des pouvoirs lui permettant d’agir efficacement. Ainsi, le niveau municipal a souvent la meilleure compréhension des enjeux sur une question donnée et est donc le mieux placé pour répondre aux besoins créés par celle-ci. En outre, la Loi sur les compétences municipales a été amendée afin d’octroyer aux municipalités une vaste compétence en environnement et elles sont maintenant clairement habilitées à agir sur le plan réglementaire. La cour d’appel du Québec rappelait aussi récemment la responsabilité grandissante des municipalités pour la protection de l’environnement.

La présente consultation canalise la volonté de la municipalité et de ses citoyens d’agir avec rigueur sur la question de l’environnement et de la réduction de notre consommation d’énergie provenant de sources émettrices de GES. Les villes ont l’occasion de devenir des leaders dans le domaine et disposent des pouvoirs réglementaires nécessaires pour établir un cadre permettant de diminuer le plus rapidement possible nos émissions de CO2 là où les autres paliers gouvernementaux tardent à agir.

Plusieurs moyens leur sont offerts pour agir en ce sens. En premier lieu, les villes pourraient adopter un test climatique au niveau municipal qui serait appliqué pour toutes les autorisations accordées par elles. Ainsi, un demandeur de permis devrait démontrer comment son projet rencontrerait les objectifs de réduction de GES de la municipalité, et ce, durant  toute sa durée de vie, soit au cours de sa construction, de son exploitation et de sa fermeture. De telles considérations devraient aussi encadrer l’exercice des pouvoirs de la ville, spécifiquement dans ses décisions sur l’aménagement du territoire, afin de favoriser des modes de transport urbain alternatifs, actifs et collectifs.

Rappelons à ce sujet que 39% des GES de l’agglomeration sont produits par le secteur des transports, principalement individuel. Il est impératif que ces municipalités utilisent leurs pouvoirs afin d’opérer une transition vers des modes de transport alternatifs, actifs et collectifs, notamment par le biais d’incitatifs fiscaux (taxe sur l’essence, tarification routière, taxation du stationnement, etc). L’utilisation de l’automobile à essence serait par le fait même diminuée, ainsi que la nécessité d’importer des carburants de l’étranger ou d’autres régions du Canada.

La ville peut également utiliser ses pouvoirs de zonage afin de viser les secteurs les plus névralgiques où la diminution d’émissions de CO2 serait substantielle en plus de présenter des améliorations pour la santé et la qualité de vie des citadins. Par exemple, un règlement pourrait généraliser les initiatives de lutte aux ilots de chaleur prises par des arrondissements comme Rosemont-La Petite-Patrie qui a revisité la conception des toits et des stationnements afin de diminuer la capture de la chaleur.

La ville peut en outre faciliter l’accès à l’information environnementale dont elles disposent en établissant un système ouvert qui rendrait les documents sur le sujet publics sans même que la demande d’un citoyen en ce sens soit nécessaire. Ceci favoriserait la reddition de comptes de l’administration envers les résidents.

Finalement, Montréal devrait utiliser le rayonnement dont elle dispose non seulement pour encourager ses citoyens à agir de façon responsable sur le plan environnemental mais également afin d’inciter les autres acteurs à participer concrètement à l’effort de décarbonisation de la planète. Par exemple, l’assemblée générale de l’Organisation internationale de l’aviation civile se tiendra à Montréal à l’automne 2016 afin de décider des moyens d’actions du secteur de l’aviation civile sur les changements climatiques. La ville disposerait alors d’une occasion unique de faire passer un message fort sur le devoir d’agir pour protéger le climat à cette industrie qui contribue à au moins 4% des émissions de GES mondiales et échappe à ce jour à la réglementation.

C’est pourquoi nous préconisons fermement l’utilisation de ces pouvoirs afin de lutter contre le réchauffement climatique et d’établir un cadre légal permettant le développement de multiples initiatives environnementales pour le bien-être des Montréalais et de la planète entière.