L’expropriation déguisée, c’est quand une loi ou une réglementation réduit le droit de propriété de manière tellement importante qu’une personne ne peut plus l’exercer. Une personne reste propriétaire d’un bien, mais elle se trouve expropriée de celui-ci parce qu’elle ne peut plus l’utiliser. On parle donc d’expropriation déguisée.

Attention ! Il ne faut pas confondre un recours judiciaire en expropriation déguisée et les recours judiciaires qui peuvent être entrepris dans le cadre d’une procédure d’expropriation permise par la loi. L’expropriation est la procédure par laquelle une instance publique (municipalité, société de transport ou encore un ministère) exproprie une personne ou une entreprise de son terrain ou de son immeuble. Par cette procédure, l’instance publique devient propriétaire du terrain ou de l’immeuble. La personne ou l’entreprise expropriée reçoit une indemnité. Deux actions devant les tribunaux sont possibles pour la personne expropriée : contester l’expropriation ou contester le montant de l’expropriation. 

Pourquoi les municipalités sont-elles poursuivies pour expropriation déguisée?

L’expropriation déguisée est un argument qui est parfois utilisé afin de contester la validité des lois et des règlements dans différents domaines, ou encore pour demander une indemnité. En raison de leur pouvoir de réglementer les usages par un règlement de zonage, les municipalités sont parfois poursuivies ou menacées d’être poursuivies pour expropriation déguisée. Dans bien des cas, c’est lorsque les municipalités adoptent un règlement pour protéger l’environnement ou des milieux naturels qu’elles sont poursuivies pour expropriation déguisée.

Les tribunaux ont reconnu à plusieurs reprises que la protection de l’environnement est une motivation légitime, même un devoir, et ne constitue pas en soi un élément de mauvaise foi.

Expropriation déguisée: ce qu’en disent les tribunaux

Il n’y a pas de définition de l’expropriation déguisée dans la loi. Ce sont plutôt les tribunaux qui ont eu à développer les principes généraux qui s’appliquent quand un recours judiciaire est entrepris pour expropriation déguisée. Les tribunaux examinent alors l’atteinte au droit de propriété. En bref, les tribunaux se posent la question suivante : quel est l’impact de la réglementation sur l’usage possible de la propriété ?

Dans plusieurs jugements, les tribunaux ont conclu qu’un règlement municipal peut modifier de manière importante l’usage qu’il est possible de faire d’une propriété sans qu’il ne s’agisse d’une expropriation déguisée. Pour résumer ce que les tribunaux ont conclu au sujet de l’expropriation déguisée, mieux vaut leur laisser la parole. Voici un extrait de la décision Wallot de la Cour d’appel du Québec

Les tribunaux ont donc reconnu que, pour être considérée illégale, une restriction réglementaire doit équivaloir à une « négation absolue » de l’exercice du droit de propriété ou encore à « une véritable confiscation » de l’immeuble. Les limitations qui tendent à ne stériliser qu’une partie de ce droit sans toutefois priver son titulaire de l’utilisation raisonnable de sa propriété ne seront pas jugées abusives.

En application de ces principes, la Cour a conclu que l’adoption d’un règlement de contrôle intérimaire visant un terrain boisé et ayant pour effet d’y empêcher des développements immobiliers n’était pas de l’expropriation déguisée. La Cour en arrive à cette conclusion puisque le droit de propriétaire du promoteur n’est pas complètement anéanti par la réglementation municipale

Quand peut-on vraiment parler d’expropriation déguisée?

Une municipalité pourrait s’exposer à une poursuite en expropriation déguisée si elle modifiait le zonage d’un terrain privé pour en faire un zonage « parc » ou « conservation » et qu’elle installait des équipements publics sur ce terrain. C’est ce que la Cour a conclu dans la décision Ville de Lorraine

Voici un résumé des faits qui ont mené la compagnie propriétaire du terrain à poursuivre la ville. D’abord, le promoteur a acheté un terrain zoné résidentiel. Deux ans plus tard, la municipalité a modifié le zonage et 60% du terrain se trouvait dorénavant en zone de conservation. À la suite d’une visite, un représentant du promoteur constate plusieurs années après le changement de zonage que son terrain est occupé par des chemins de randonnée pédestre, des bancs et des pistes de ski de fond. Le promoteur demande alors à la municipalité de changer le zonage pour que ce soit à nouveau un zonage résidentiel. La ville refuse. Le promoteur entame un recours judiciaire contre la municipalité. Dans cette décision, le fait que la Ville ait occupé physiquement le terrain avec des équipements publics a été déterminant pour conclure qu’il s’agissait d’une expropriation déguisée. C’est un cas exceptionnel.

Bref, l’expropriation déguisée fait souvent plus de peur que de mal. Ce type de recours est bien souvent rejeté par les tribunaux. Même si se défendre contre une poursuite peut impliquer des coûts importants, les municipalités doivent néanmoins persévérer dans leur effort de protection de l’environnement pour le bien-être de leurs populations actuelles et futures ! C’est leur rôle de protectrices de l’intérêt public.


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